Survivre en prison à Luebo

23 avril 201123 avril 2021

Cela fait 10 ans jour pour jour que nous avons, pour la première fois, mis les pieds dans la prison de Luebo. Aujourd’hui nous avons rédigé un plaidoyer adressé à la Ministre de la Justice à Kinshasa. Nos voix seront-elles entendues ?

Extrait

« Excellence Madame la Ministre d’Etat, la prison actuelle de Luebo est devenue un mouroir. Les prisonniers ne sont pas nourris, sauf deux fois par semaine quand les membres de notre association leur apportent la nourriture. Actuellement, il y a 38 prisonniers et parmi eux il y a des mineurs, entassés jour et nuit dans l’unique pièce très étroite de 8 mètres sur 4 qui tient encore difficilement debout ; cette pièce sert à la fois de dortoir, urinoir et toilette.
Les conditions de vie sont grandement infrahumaines. Quand notre association ne fournit pas des nattes, les prisonniers dorment sur des lambeaux de ciment datant d’avant l’indépendance. Dans ces ruines, les femmes prisonnières dorment dans un réduit annexe, exposées aux agressions des gardes.
Excellence Madame la Ministre, il est inadmissible et révoltant que pour rendre visite aux prisonniers, les bénévoles doivent payer l’entrée aux gardes et au Directeur de la prison. Il est intolérable que la nourriture apportée par des bénévoles soit détournée.
D’après l’actuel Procureur et le Directeur du Centre pénitencier, la prison de Luebo n’a jamais bénéficié des subsides de l’Etat depuis de longues années.
Excellence Madame la Ministre, je pense qu’il est urgent d’envisager soit la fermeture de ladite prison de peur de ne pas soumettre nos compatriotes y détenus à des conditions infrahumaines, soit sa réhabilitation, et/ou sa prise en compte dans le budget alloué aux prisons du pays. »


Jeunes visiteurs

Depuis le mois d’octobre 2020, des jeunes de Luebo s’organisent deux fois par semaine pour acheter de la nourriture et l’apporter en prison. Ils le font généreusement, dans une belle communion des cœurs, ils accueillent volontiers tout qui veut se joindre à eux. L’équipe de Belgique finance une grande partie des achats de nourriture, mais il n’est pas rare que des habitants de Luebo, touchés par leur action, ajoutent leur contribution.
Ces jeunes visiteurs ont rassemblé en quatre pages leurs témoignages et photos, ainsi que ceux des membres de Belgique qui ont été de passage à Luebo. Ces pages seront également déposées à Kinshasa, dans différents ministères et au Palais de la Nation.


Prison de Luebo de 2011 à 2021

Témoignages des membres de Luebo-sur-Ourthe

Agriculteur de métier, je me suis rendu deux fois à Luebo via l’association qui nous lie à ce pays merveilleux, et j’ai visité la prison. J’ai été sidéré : ces gens ne sont plus considérés comme des êtres humains dans un pays dit « démocratique » ! J’ai donné la main à des hommes plus morts que vivants, c’était pire encore en 2015 qu’en 2013. (Freddy Docquier, Belgique)

Chaque semaine, le nombre de prisonniers augmente, mais la place pour dormir ne s’agrandit pas. (Olivier Mukendi, Luebo)

Nos amis qui sont en prison ne peuvent même pas se laver, pendant plusieurs mois. Les poux les attaquent, leur état de santé se détériore. (Russel Wolawanto, Luebo)

La puanteur qui sort de l’endroit où dorment nos frères n’est pas à sentir deux fois. Lors des visites, certains, dépassés par cette odeur, perdent l’appétit en arrivant chez eux et pourtant c’est là que mangent nos frères ! (Nicolas Muambuya, Luebo)

Un jour, j’allais en visite en prison. Un monsieur m’a dit « je vais vous accompagner ». Quand il a vu les prisonniers, il n’a pas supporté l’odeur, il est allé m’attendre dehors. (André Pongo, Luebo)

Cela fait 10 ans aujourd’hui, c’était le jour de mes 60 ans : nous amenions chemises et nourriture : joie pour ces hommes décharnés. Pour recevoir notre repas chaud, rien qui ressemble à une assiette : une pierre, un bout de carton, deux mains tendues … Ils restent gravés dans mon coeur. (Myriam Spineux, Belgique)

Le directeur est venu me demander qu’on passe par lui : il doit déguster tout ce qu’on amène aux prisonniers ! Les gardiens réclament qu’on leur donne de l’argent. On cède par moment lorsqu’ils risquent de confisquer ce qu’on amène. (Dr Ferrand et Russel, Luebo)

Un jour nous avons trouvé le chef des prisonniers dehors en train de cueillir des papayes non mûres pour donner à ses collègues. « Nous n’avons pas mangé depuis trois jours. Ce que vous aviez laissé la fois passée, les policiers et le directeur l’ont confisqué ». (André Pongo, Luebo)

Je me souviens d’une visite à l’improviste : trente regards étaient posés sur une minuscule souris en train de cuire. Ils n’avaient plus eu à manger ni à boire depuis 4 jours, on pouvait compter leurs os. Deux d’entre eux sont morts durant notre séjour. (Isabelle Jemine, Belgique)

Un prisonnier était très mal en point : le directeur n’avait pas de policier pour assurer sa garde à l’hôpital, et le médecin n’avait pas l’autorisation d’aller le soigner en prison. J’ai dû payer pour qu’un policier accompagne le prisonnier à l’hôpital. (Thomas Mussenge, Belgique)

Les murs de la prison ont volé les nattes. Deux seulement restent depuis la visite de samedi passé. Quel désastre, j’ai fondu en larmes, j’étais découragé. Que faire ? (Dr Ferrand Mputu, Luebo)

Je me souviens que j’étais très mal à l’aise et que je me sentais démunie face à si peu de moyens et de respect pour ces personnes. (Stéphanie Robin, Belgique)

Il y a un prisonnier à qui l’on a cadenassé les jambes, il y a de cela 5 jours, il ne mange pas. . (Léonard Bumba, Luebo)

C’est presque tous les jours que nous les voyons avec les mêmes habits sales et troués. En fait, je ne dirais pas que ce sont des habits. Il y a un père qui a déjà passé au moins 3 mois en prison : il est à moitié nu. (Léonard Bumba, Luebo)

Il n’y avait qu’une vieille casserole là, trouée, que l’on utilisait pour plusieurs rôles à la fois. Les prisonniers ont manifesté une joie excessive quand nous leur avons remis une casserole. (Léonard Bumba, Luebo)

Dans plusieurs pays les prisonniers sont bien traités, mais pourquoi pas au Congo ? Les prisonniers ont aussi des besoins : voir le ciel, se distraire, avoir un bidon d’eau près d’eux, car l’eau c’est la vie. (Antoine Munangayi, Luebo)

Lors de notre réunion, nous avons pensé que dans la prison, il pourrait y avoir une menuiserie, une charpenterie, pour fabriquer même des tabourets et des fenêtres. (Olivier Mukendi, Luebo)

En 2013, un artiste sculpteur se trouvait en prison. Un membre de l’association lui a apporté des outils et du bois. Il faisait de belles choses, il enseignait aux autres. Mais dès que nous avons eu le dos tourné, tout a été confisqué, seule l’enclume est restée. (Isabelle Jemine, Belgique)

Les prisonniers nous ont félicités pour les visites chaque mercredi et samedi. Ils ont dit : « Luebo-sur-Ourthe » doit prendre le nom de « MOISE ». (Olivier et Léonard, Luebo)

Mettons-nous à leur place : ces gens sont des humains comme nous, nous devons les aider à changer leur vie ! (Léonard Bumba, Luebo)